Rolling Stones

Ceci n’est pas une histoire de nom de voie… il s’agit d’un récit du regretté Pierre Rouzo, équipeur et artiste émérite, dont les dessins et histoires ont marqué une génération de grimpeurs.

Une histoire d’équipement, et plus précisément de “purge” comme son nom laisse l’entendre, qui transmet bien que la passion dépasse parfois l’entendement. A tous les amoureux du rocher !

“Rolling Stones !”

Hugues et moi sommes sur le plateau, et bientôt au bord de la falaise
du lieu dit «La Crête de Taillade» sur la commune de Claret. 

Enfin, si on y arrive. Ce causse est un enfer pour le promeneur :
il n’y a pas, un seul chêne-vert qui ne soit emprisonné dans un infernal
treillis de ronces. La progression est vraiment des plus pénible.
Ca s’accroche de partout et le premier qui veut passer -en force- dans cet enfer
végétal, y laissera, à tous les coups, une partie de ses nerfs.

C’est rude mais on connaît : les garrigues nous ont calmés tous les deux,
depuis longtemps (!). En plus, c’est dangereux : le sol n’est que lapiaz
et blocs branlants. En cas de déséquilibre, c’est à coup sûr une belle entorse
avec du sang autour.

Ha, une borne. Nous sommes donc tout près du bord.

Les bornes. Nous les avions découvertes en équipant (nous sommes «à la frontière»
du Gard et de l’Hérault). Et c’est plutôt marrant : puisque la falaise est largement
surplombante, question : lorsqu’on attaque le pied d’une voie, sommes nous «encore»
en Hérault ou déjà «dans» (sous) le Gard ? Sachant que tous les relais sont, eux,
en Hérault… mystère…

Nous sommes donc sur le plateau, pour une mission bien précise :
déloger deux énormes blocs, qui ne nous «plaisent pas» quand on les regarde
du bas, de dessous, à leur aplomb (!). 

Le problème, c’est de les trouver.
On a un bout de corde, des jumards, quelques paires… et surtout une barre
à mine, chacun… de 15 kilos, chacune ! Et on ne sait même pas où on est (!).
Du bas, on s’ait marqué des repères visuels dans le paysage…
mais du haut, c’est la galère : on ne s’y retrouve pas du tout.

Heureusement, il y’a François. Il est resté en bas et lorsque l’on balance la corde,
il nous indique où l’on est par rapport à l’objectif. C’est bon, nous y sommes bientôt,
c’est à une vingtaine de mètre sur la gauche. La vue est superbe. Il fait beau,
les vignes sont rousses et la mer scintille au loin. On voit nettement les Salins du Midi
avec leurs pyramides de sel. La Grosse Motte aussi. Enfin, la «Grande» Motte
et ses pyramides d’habitations estivales. C’est beau. Mais bon, on a du boulot. 

On approche. Là, ça y ressemble, on doit y être. Ce sont deux gros blocs sculptés
en formes de meules à grain : rondes, d’une épaisseur de soixante centimètres
et d’un diamètre de presque deux mètres. Posées l’une sur l’autre.

Sans même se concerter, Hugues et moi se vachons à des arbres.
Pas sur les mêmes, puisque nous allons «ouvrager» de part et d’autre de ces
«gros trucs» en équilibre (?)… Le porte-à-faux est énorme, mais il n’est pas du tout dit
que ça puisse tomber rapidement. On a déjà bataillé sur moins gros.
Avec plus ou moins de réussite ou de difficultés.
Cette falaise est quand même très spéciale. 

Inquiétante par moment.

Nous autres, équipeurs, débarquons toujours dans un univers «vierge»
de tout contact humain ou animal. Là où nous sommes, il n’y a pas trace de la présence
de chèvres et le couloir des sangliers se trouve plus loin. Il est très net, bien marqué.
(ça fait toujours un peu bizarre d’avancer, plié en deux, dans la trouée qu’ils ont réalisée
dans cet amas de ronces et d’épineux). 

Si parfois nous avons fait tomber des «téléviseurs», rien qu’avec la poussée d’un doigt,
là, c’est plutôt mal parti : nous venons de déloger toute la partie soutènement.
Et les deux blocs n’ont pas bougé. Le porte-à-faux est encore pire.
Ca devrait «descendre» dans pas longtemps.

Avec la barre à mine, je pousse, comme un âne, sur le bloc du dessous : ça bouge (!).
Ca bouge d’une dizaine de centimètres, vers Hugues, qui dans un effort similaire,
me le renvoie aussitôt. Même en changeant de méthodes, de techniques d’approche,
rien n’y fait. Ce putain de bloc a fait une bonne vingtaine d’aller-retours,
et il est toujours là, «coincé».

Si dans ce genre de travail, Hugues est une vraie mule (bien plus jeune que moi),
je ne doute pas -à voir sa tête- qu’il est dans le même état que moi : il a maintenant
le dos complètement ruiné, et plus beaucoup de forces en magasin ! 

On se regarde, et comme souvent, sans un mot, on renonce en même temps.
Tant pis. Après tout, ça tient. 

Et je me demande si je fais bien de raconter ce genre d’histoire…
on va me faire procès s’il y a des morts dans un accident toujours possible (!?)…
Bah, je dirais que je me suis vanter d’avoir aidé Hugues, alors qu’il a tout fait tout seul !
De toutes façon, il est mort. C’est donc facile de lui faire porter le chapeau.
Et même le bonnet rasta, tiens.

Bon, on n’est quand même pas monté pour rien, il faut que «quelque chose» tombe !
On ne peut pas rester comme ça (!). On ne va pas redescendre bredouilles quand même (?).
On veut se venger ! 

Dix mètres plus loin, on s’approche d’un autre bloc.
Celui là, on le connaît bien : il est E-NOR-ME (!!), et juste «posé» dans une goulotte
de terre. Une vraie rampe de lancement.

Le seul problème, c’est qu’on ne l’avait pas «programmé» pour le jour d’aujourd’hui :
devant la masse du bloc, nous avions imaginé qu’il puisse dévaler jusqu’à la route (!).
Nous attendions avec impatience, les talkie-walkies promis par Nono.
On avait prévu d’envoyer les copains s’occuper de la route et d’en interrompre
la circulation au cas où… 

Mais là, comme je l’ai dit : on a soif de vengeance ! «Faut que ça saigne !». 

Nous y sommes. On demande à François si tout est OK (?).
Houlaaa, non (!) : s’il y a peu de monde, il y a une cordée dans «Scalata»,
ex-ac-te-ment en dessous ! Le leader est dans le trou du plafond.
Il s’y repose comme tout un chacun. François lui demande d’y rester encore un peu
et se met à l’abris avec l’assureur(e).

Puis il nous donne son feu vert. 

A nous (!). 

Il n’y a pas un bruit. Pas de voiture en vue, ni à droite, dans la descente du causse,
ni à gauche, sur la route qui vient des Embruscales. 

GO !

Nous ne sommes même pas attachés et le tout petit coup de barre à mine
que nous donnons chacun, fait tout basculer !

WHAAAA, je m’accroche à Hugues pour mieux voir, par dessus son épaule.
C’est un spectacle E-NOR-ME (!) : bref, interminable, silencieux et bruyant à la fois !
Deux secondes après : «BRAOUM !!» (ce bruit !)… et… et merrrrrde : le bloc
se fracasse au sol, se scinde en deux, et un véritable piano à queue dévale
maintenant la pente dans un fracas de branches ! 

Ces secondes là sont interminables (!).

Le bloc roule sur sa tranche, la tranchée qu’il fait dans la végétation est rectiligne,
tracée au cordeau, et rien ne pourra l’arrêter ! Pas même la route : «BRAOUM»,
CRAAAC !!»… Puis plus rien. Le silence.

Le bloc a effectivement frappé la route, y a rebondi et s’est immobilisé
dans les arbres en contre-bas, un peu avant les premières vignes.

On n’imagine même pas le trou qu’il doit y avoir dans la chaussée (!?). 

On va se faire tuer par les gens du village, par le maire !
Ca faisait maintenant plusieurs mois que nous équipions, sans rien demander
à personne, sans aucune autorisation (!). Et si certains villageois ne savaient
pas encore qu’il y avait des escaladeurs sur leur commune… là…

Bon, on va descendre voir çà.

Je ne dis rien à Hugues, mais mes pensées me glacent les sangs (!) :
entourées d’arbres, de longues portions de route sont invisibles, même d’ici.
Hors, s’il y a rarement des piétons qui s’y promènent… Il y a de nombreux cyclistes
qui se tapent la côte ou la dévalent ! NOUS AVONS TOUT SIMPLEMENT
«OUBLIE» LES CYCLISTES !!! Je suis liquéfié.

Le temps de redescendre au pied de la falaise et d’y rejoindre François,
un autre copain est déjà là. Effectivement, il y a un trou dans la route.
Il s’est même arrêté pour voir le caillou et l’imposante ouverture faite dans
la végétation en contre-haut de la chaussée. Mais le trou dans le maccadam
n’est pas énorme. Ouf ! (et surtout : pas de restes ensanglantés de bicyclette !).

François se marre. On lui demande pourquoi. Oh, c’est simple, si le spectacle
lui a beaucoup plu et l’a fait «vibrer» tout autant que nous,
il n’a pas été apprécié par tout le monde : le grimpeur qui était dans son trou au moment du grand fracas…
hé bien, il est parti ! Il a taper «un but» de là où il était, et aussitôt après,
il est parti avec sa compagne ! 

Évidemment, nous, tous les quatre, on est morts de rire ! 

Bon… ben voilà, on a fini la journée en grimpant dans nos nouvelles voies.
Et comme à chaque fois, on s’est arrêté au bistrot (@#%?!)… 

Hum, apparemment, personne n’était encore au courant de ce fameux trou
dans la route, et surtout, de son «pourquoi» et de son «comment» (?)…
On n’a rien dit, on n’a pas moufté… mais nous n’étions pas très fiers, ce jour là…

———————

Epilogue :
En fait, deux jours plus tard, le trou a été rebouché par quelque cantonnier…
et nous n’en n’avons jamais entendu parler.

Jusqu’au jour où, dix ans après (!), un client du bar -un chasseur-
m’en a fait allusion avec un large sourire !… 

pierre 

———————– 

Si d’autres cailloux ont dévalé le pente, ils ne sont jamais arrivés aussi loin.

Une histoire similaire est arrivée à «l’oncle» de Laurent T. :
mais SON caillou -à lui- s’est arrêté dans un pré…
AU MILIEU DES VACHES !!! 

P.

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Mercredi 19 janvier 2005 : 

En papotant au bistrot -après la grimpe- avec Richard et d’autres copains,
je leur raconte que j’ai envoyé quelques petites histoires -autour de l’escalade- sur un forum.
Et notamment celle de l’équipement de Claret et du caillou qui traverse la route (!).
(Rolling Stones) 

A l’époque où nous équipions, en fait, peu de gens étaient au courant.
Le bouche à oreilles fonctionnait à sa vitesse «naturelle» (on va dire). 

Richard et moi ne nous connaissions pas encore… et là, il me dit :
—- «Ouais, ouais, moi je l’ai vu le trou dans la route».
(???)
—- «Attends, Richard, comment ça se fait ? : t’es pas venu, au tout début de Claret (!…)».
—- «Non,non, je faisais du vélo. Et quand j’ai vu le trou, je me suis arrêté.

Et c’est là que j’ai vu qu’il y avait des mecs qui équipaient. Donc ça devait grimper».
(???)
—- «Du vélo ? Tu te fous de ma gueule (!) : t’as lu mon histoire !».
—- «Non, non, je t’assure : je montais la côte en vélo».
(???)
—- «Atteeeends… tu te fous VRAIMENT de ma gueule (!!) : le trou est resté DEUX jours !
Il a tout de suite été rebouché. Tu as lu mon histoire !».
—- «Mais NON, j’ai vu le trou, c’est tout !»

… … Hoooo con (!!)… j’indique l’adresse du forum à Richard, pour qu’il comprenne
POURQUOI, je le félicite et le remercie… de n’être pas passé -la veille- sur cette route,
avec son putain de vélo !!! 

Effrayant ! 

pierre

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