La guerre des sites 3 : vers un “diplôme d’équipeur professionnel” pour les sites naturels d’escalade ?

Depuis le début de l’aventure Greenspits il y a trois ans, nous avons pu constater l’émergence d’une prise de conscience collective autour de la gestion des sites naturels d’escalade (SNE). Nous avons pu noter un engouement des médias, des entreprises, des acteurs de l’escalade dans leur ensemble  pour le “green”, avec un changement marqué des modes de communication de notre fédération nationale (FFME).

Les articles de Cathy Bass pour Greenspits sur la gestion des falaises en France ont permis à certains grimpeurs de sortir du brouillard et ont révélé une certaine  incohérence dans les discours qui prônent une nature quelque peu “aseptisée”. La série d’articles La guerre des sites prône avec ironie le simple bon sens pour une meilleure cohabitation de tous les acteurs des SNE.

En cette période de revendications sociales nous réaffirmons la volonté de nous inscrire dans une démarche visant à informer notre communauté et défendre l’intérêt collectif.

Dans cet article, c’est Vincent Meirieu qui aborde une problématique complexe mais qui nous intéresse particulièrement car elle concerne les équipeurs/ouvreurs de voies naturelles. La passion et l’expérience des équipeurs/ouvreurs sont bien la garantie de falaises telles que nous les rêvons. Or un projet de CQP (Certificat de Qualification Professionnelle) “Technicien équipement escalade – Équipement et maintenance des SNE” est en gestation au sein de notre fédération mère. Un “diplôme d’équipeur professionnel” qui nous met face à quelques questionnements…

Equipeur, un métier ? Rémunéré ? Quelle expertise pour ces diplômes “express”? Quelle légitimité pour les diplômés ? Quelle considération pour les équipeurs d’exception qui ont développé notre patrimoine des falaises ? Quelle vocation pour les jeunes équipeurs qui veulent faire perdurer l’éthique et la culture transmise par leurs pairs ? Quelle marge de manoeuvre pour les passionnés non qualifiés… et non licenciés ?? Et surtout, ne dérive-t-on pas vers une normalisation abusive mettant la gestion des falaises entre les mains de professionnels du BTP au détriment des grimpeurs eux-mêmes ?

“La via ferrata” © https://lesbaltringuesdelagrimpe.com

Merci Vincent pour cet article fort intéressant et bonne lecture à tous !

LES FESSES DE LA CRÉMIÈRE

Clarification en guise de préambule

Redéfinissons simplement ici « l’escalade sportive en falaise » telle que nous prétendons en traiter dans cette missive : c’est pour nous une pratique de nature, dont la finalité réside dans l’ascension en « libre », d’itinéraires de 1 ou plusieurs longueurs, équipés, et « nettoyés » pour permettre la progression encordée, mais ce, potentiellement, SANS norme et entretien régulier du  matériel en place.

Le terme « sportif » sera donc utilisé ici sans allusion aucune au classement des sites par la FFME  et donc à la norme qui s’y attache ; il fait pour nous juste référence  à une forme de pratique définie par des règles et des supports, que nous distinguerons de la pratique de l’escalade « traditionnelle »,  de l’escalade de « bloc » naturel, de l’escalade « artificielle », ou de l’escalade en SAE.

Nul doute que la FFME en s’appropriant les termes « sportifs » et « Terrain d’aventure » dans sa classification officielle, a semé le trouble et la confusion dans les esprits : une falaise « sportive » au sens « fédéral »  serait une falaise équipée normée et entretenue ; une falaise « Terrain d’aventure » serait une falaise qui peut être équipée (!) mais non normée. L’idée s’est donc propagée que l’escalade « sportive » est nécessairement aseptisée ; les falaises non normées seraient juste dangereuses ou nécessitant le recours à des protections amovibles comme c’était juste le cas dans le classement non officiel et le langage courant pour cette dernière affirmation. Glissement sémantique mais aussi idéologique, symptomatique des directions données par la fédération délégataire à notre activité, qui assume pleinement son engouement pour les jeux olympiques et ses priorités en matière de développement qui se portent nettement sur la SAE.

Un préambule indispensable et une occasion aussi de préciser que les nombreuses allusions à la FFME notre fédération délégataire font référence évidemment à l’échelon national et non au local, à l’étage du haut, siège du pouvoir et des décisions institutionnelles.

Laurent Triay à l’équipement – Gorges du Tarn – Le Gymnase © Zolve – purgemag.com.free.fr

De l’autre côté du miroir : les falaises ne sont pas des gymnases et personne ne souhaite qu’elles le deviennent…

Admettons ici l’existence de véritables « falaisistes », population singulière, génération spontanée qui se développe envers et contre toute tentative de « depunkisation » de l’escalade. Ces héritiers assumés (eux aussi) des pionniers en la matière des années 80 et 90, usagers et pratiquants des SNE équipés dans leur diversité, ne renâclent pourtant pas le temps d’une journée pluvieuse à tirer sur des triangles en résine, parce que quand même, c’est bon de bourriner même en salle. Ces grimpeurs, largement étudiés par les sociologues et autres chercheurs de bizarreries  sociétales, seraient attachés en falaise à :

  • La « naturalité » du milieu : telle que le relatif éloignement des sites de pratique des zones urbanisées et des grands axes de communication (quand c’est possible… Un grimpeur reste un grimpeur et il s’attachera à grimper même sur les pires spots urbains par défaut), une fréquentation modérée autorisant des rapports humains facilités et favorisant les échanges conviviaux et non consuméristes, des aménagements et modifications apportés au milieu discrets et parcimonieux…
  • La variété des itinéraires et des voies d’escalade : cela à travers la diversité des rochers, mais aussi la pluralité des formes « d’engagement » ou d’espacement des points d’assurage. Cette variété permet à tout un chacun de s’exprimer et entretient une forme de complexité enrichissante qui constitue l’une des singularités des pratiques d’Activités de Plein Air dans le renouvellement et la différence inhérente à la multiplicité des supports et des conditions de pratique.
  • Une forme d’ouverture et d’équipement fiable et conçu des voies d’escalade, permettant d’assurer sa sécurité dans la limite imposée par les risques subjectifs du milieu naturel. Tout est dit ici sur le paradoxe fondateur de notre activité : on veut se faire peur mais pas trop, grimper au dessus du point mais pas se faire mal, des falaises fiables mais pas des gymnases, grimper loin des foules mais pas trop loin des secours… Le beurre et l’argent du beurre… C’est important, fondamental, comment leur expliquer ? Notre société n’est malheureusement pas en capacité de comprendre (tolérer ?) la finesse de cette posture et la précision du curseur qui s’y rapporte, et nous met face à nos contradictions dans la gestion institutionnalisée, marchande et (ou) officielle de l’escalade.
  • Une forme d’ouverture et d’équipement dans l’harmonie d’une progression où le geste est dicté par le cailloux et assurer sa sécurité est une contrainte limitée. Autrement dit, une voie d’escalade doit pouvoir se grimper en mousquetonnant des points d’assurage certes fiables mais opportuns dans l’évolution gestuelle du grimpeur ; cela permettant ainsi la réalisation de l’itinéraire en « libre » et parfois dans le dépassement psychologique qu’impose de fait l’éloignement des prises de mousquetonnage.

Stephane Troussier  – Verdon – Megafoot – 7 a + © Robert Exertier

Postulat arbitraire mais raisonné

Toutes les pratiques (tendances idéologiques ?) qui n’iraient pas dans ce sens là viendraient de pratiques éloignées de cette culture telles que les pratiques « indoor » (aux qualités par ailleurs nombreuses mais là n’est pas le propos) et n’auraient donc aucune légitimité pour s’imposer sur l’outdoor. Cela dans la mesure où les pratiquants falaisistes, tels que décrits ci-dessus, se satisfont très bien de leur propre idéologie, fruit d’une réflexion historique et de fonctionnements anciens, raisonnés et évolutifs.

Et pourtant le rouleau compresseur est en marche.

Le trop plein d’aménagements des falaises et alentours est aujourd’hui soutenu par la tendance sociétale sécuritaire, cela encouragé par les problèmes de responsabilité que relaie la fédération acculée et portée par Tokyo, poussé par le flot de pratiquants indoor en constante augmentation, repus à des pratiques normées, et soutenu par les marchands du temple attirés par la consommation de masse comme les requins par le sang.

Résisterons-nous encore longtemps au tsunami normatif, sécuritaire et consumériste, quand les terrains de jeu se réduisent pour de bonnes ou mauvaises raisons, contraintes environnementales et logiques de privatisation ; la police des falaises veille…

« L’amateurisme » comme garde-fou de nos pratiques de falaisistes

Ouvrir une voie « n’est ni facile, ni accessible à tous. Équiper une voie c’est impacter le milieu naturel et ouvrir un itinéraire qui sera grimpé et répertorié pour de longues années. Équiper une voie c’est s’adapter au rocher et pas l’inverse, c’est nettoyer, purger, brosser et pas juste mettre des points… ». Cette juste définition que nous donne Greenspits de l’équipement relègue en arrière-plan les aspects économiques, normatifs et matériels. La connaissance de l’activité sur le plan technique (gestes), culturel (histoire), déontologique (philosophie), technologique (matériel), et pratique (évolution sur corde), sans garantir la compétence des ouvreurs, leur assure une base solide et des intentions vertueuses, et cela à travers la passion et l’expérience  que nécessite la maîtrise réelle de ces domaines.

Les ouvreurs comme « amateurs » (au sens littéral, terme cher à Laurent Triay : « qui aiment ») au service d’une passion, la technicité en soutien : Olivier Arnulf, Bruno Beatrix, Valery Bernard, Christophe Bernard,  Olivier Bert, Denis Bois, Guillaume Bourgeois, Jean Michel Cambon, Richard Champenois, Vincent Cotalorda,  Pierre Duret, Patrick Edlinger, Bruno Fara, Eric Garnier,  Hervé Guigliarelli, Denis Haye, Serge Jaulin, Jean-Luc Jeunet, Pierre Legrand, Christophe Louis, Guillaume Mijeu, Renaud Moulin, Laurent Perez, Philippe Mussato, Cyril Olagnier, Christophe Perrolier, les frêres Rémy, Antonin Rhodes, Hervé Rondeau, Alex Serres, François Thirion, Franck Vilpini… Et quelques centaines de plus… Tous ceux que j’oublie parce que ça n’en finit plus de ne pas s’arrêter…

Autant « d’amateurs » éclairés avec des kilomètres et des kilomètres d’escalade sous les chaussons, découvreurs et équipeurs de falaises sur leur temps libre parfois compté. Merci à eux.

Renaud Moulin, équipeur expatrié en Espagne à l’oeuvre à Margalef © Greenspits

À l’aube du business de l’entretien des falaises ?

La question d’un diplôme d’équipeur posé par la FFME à travers sa décision unilatérale de créer aujourd’hui un Certificat de Qualification Professionnelle  (diplôme du champ professionnel) hors de la filière escalade et de la branche sport doit être traitée avec beaucoup d’intérêt.

Rappelons ici que la fédération a pour objectif de déléguer la charge de responsabilité des falaises aux collectivités suite à un accident survenu sur une falaise dont elle avait la charge et qui lui coûte 1 million d’euros, rêve de passation fantasmé mais loin d’être réalité. Nous sommes, selon elle, à l’aube d’un monde où la fédération déciderait de la norme d’équipement sur une tendance sécuritaire assumée, où les collectivités seraient responsables en cas d’accident, et enfin où les Comités Territoriaux FFME prendraient en charge l’entretien contre rémunération. Le beurre et l’argent du beurre… La pièce manquante : ce fameux diplôme d’équipeur, délivré cela va de soi, par la FFME elle même.

Un modèle d’entretien bénévole pourtant majoritaire

La fédération nous dit que ce nouveau diplôme est une demande des collectivités. Mais les différents audits des falaises (tant celui de la FFME que du collectif Appel des Ouvreurs) font état que dans la vraie vie et les vraies falaises, les collectivités sont encore aujourd’hui bien frileuses à s’engager sur le terrain de la responsabilité (toujours plus importante) et (ou) de l’accompagnement financier dans une conjoncture globale de désengagement de l’Etat au profit d’un système de financement privé, libéralisme destructeur oblige.

Certes l’Hérault constitue aujourd’hui un modèle fédéral exemplaire avec la prise en charge financière du rééquipement par les collectivités signataires de conventions et l’entretien assuré par des professionnels de l’escalade locaux rémunérés et reconnus. Mais cela est bien singulier.

Très souvent les collectivités ont bien du mal à s’engager sur la voie du conventionnement. Quant aux financements, c’est bel et bien notre accroche au tourisme qui le rend possible, le mouvement sportif n’étant plus la priorité. Et nul ne sait ce qu’il adviendra des falaises quand la FFME dénoncera les conventions qu’elle a signées (ce qu’elle a annoncé) en l’absence de reprise par les collectivités.

Alors quoi ? Pourquoi donc un diplôme d’équipeur alors même que le système repose aujourd’hui majoritairement sur des bénévoles et que les financements tendent à réduire ?

À la marge : des professionnels rémunérés déjà investis dans l’entretien des sites

De nombreux titulaires de diplômes tels que le BEES 1 Escalade ou le DE Escalade et Milieu Naturel ou Guides de haute montagne ont historiquement toujours entretenu des falaises contre rémunération. Ceci à la marge, car les moyens financiers nécessaires sont conséquents. Le nombre important de diplômés suffit largement aujourd’hui à pourvoir les demandes en la matière dans cette petite niche économique qui est (et le restera) l’entretien des falaises. Et félicitons-nous de cela car comme vous l’avez compris, l’essence de cette réflexion tend à prouver que l’équipement doit rester la plupart du temps bénévole avec la passion comme leitmotiv, l’équipement professionnel à la marge et assuré par des passionnés expérimentés et légitimes localement.

J’en suis à me dire aujourd’hui que le péché originel, le début des embrouilles, est d’avoir conçu l’idée que les institutions se devaient de financer non pas nos équipements mais surtout la main d’œuvre associée… Le beurre et l’agent du beurre… N’aurait-on pas croqué la pomme le jour où un équipeur et grimpeur se serait fait rémunérer mettant ainsi le doigt dans un engrenage institutionnel, avec l’obligation de résultat et le risque zéro en ligne de mire ?

La voie de la raison est celle de la passion…

Qui aujourd’hui mettrait en doute la passion qui anime les guides et moniteurs d’escalade, l’expérience requise à l’entrée en formation comme la longueur des cursus garantissant de fait, à la sortie, des professionnels investis et enflammés (à défaut de compétents diront les grincheux !).  Et comme établi de fait en première partie de cette missive, ma foi bien compliquée à écrire autant qu’à lire, la passion et l’expérience des équipeurs/ouvreurs sont bien la garantie de falaises sportives telles que nous les rêvons.  Ajoutons que dans les formations dispensées aujourd’hui des moniteurs d’escalade, une semaine entière est consacrée au sujet de l’équipement, en pratique sur tous les types de supports et en théorie à travers une réflexion formalisée sur l’accès aux sites et les questions de déontologie.

Il convient là de faire une observation, tant et tant de falaises ont été équipées bénévolement par des pros ou en devenir : Guy Abert, François Bardinet, Bruno Martel, Hugues Bauzille, Stephane Benoist, Patrick Berhault, Philippe Billon, Adrien Boulon, Serge Casteran, Pierre Clarac, Lionel Catsoyanis, Arnaud Catzeflis, Bruno Clément, Quentin Chastagnier, Jonathan Crison, Pierre Danoux, Hervé Delacour Olivier Dutel,  Philippe Deslandes, Simon Destombes, Pascal Faudou, Olivier Fourbet, Axel Franco, Pascal Faudou Romain Gendey, Laurent Girousse, Yann Ghesquier,  Nicolas Glée, Bernard Gravier, Denis Garnier, Guillaume Lebret, Françoise Lepron, Ben Martineau, Sylvain Maurin, Antoine Le Ménestrel, Nicolas Nastorg, Thierry Nief, Pierre Oussin, Jacques Perrier, Michel Piolat, Arnaud petit, Ludo Pin, Olivier et Alain Pons, Fred Roulhing, Gerôme Rochelle, Christian Ravier, Pierre Rouzo, Fred Roux, La famille Rolland, Philippe Saury, Fred Saval, Pascal Tanguy, Rémy Thivel, Guilhem Trouillas, Laurent Triay, Claude Vigier… Et quelques centaines de plus… Tous ceux que j’oublie parce que ça n’en finit plus de ne pas s’arrêter…  Merci à eux.

Pierre Rouzo équipe “Les yeux plus gros que le ventre” à Russan © purgemag.com.free.fr

À la marge et seulement, la légitimité des professionnels locaux

Quoi de plus légitime, à l’exception, à la marge et en complémentarité de pratiques altruistes et bénévoles, que ces mêmes pros soient payés parfois par des collectivités ou des CT dans le cadre d’une pratique d’entretien de falaises existantes ou bien dans le cadre du développement de nouveaux sites à vocation pédagogique ou touristique. Dans la plupart des cas,  le travail réalisé est toujours satisfaisant, mu par de bonnes intentions et soutenu par une réflexion d’ensemble sur l’activité de professionnels ultra techniciens et passionnés qui connaissent leurs falaises.

Certes, on a tous en tête quelques exemples de sites où les sirènes du profit ont raisonné un peu fort, où quelques pros (des « jaunes » diraient Bourdieu) ont habilement su obtenir des « chantiers » et cela à des fins purement mercantiles, ont succombé aux sommations sécuritaires et normatives imposées par certaines collectivités. Mais cela reste à la marge. Et gageons que tant que ces travaux seront menés par des passionnés ces dérives seront minorées, et susciteront de vives réflexions. Les derniers gros « chantiers » de rééquipement menés par des collectivités ces deux dernières années ont fait la démonstration de la capacité des professionnels à s’investir avec réflexion (et sans regarder leurs heures) pour faire que nos falaises conservent leur singularité. Je pense à Claret où les acteurs locaux, professionnels de la région et équipeurs bénévoles de toujours, ont su remettre à neuf l’équipement tout en conservant le caractère engagé, historique et intentionnel des voies. Ou bien je pense à la falaise trop méconnue du Trenze, où les professionnels chargés de développer le massif ont su retourner le projet pour aboutir à un semi-équipement en terrain d’aventure plus adapté au niveau des voies, au support et aux pratiquants. Citons enfin un système à l’équilibre que celui du Comité Territorial Vaucluse avec quelques journées rémunérées pour des pros locaux qui font l’effort par ailleurs de s’investir bénévolement sur des journées de rééquipement collectives exemplaires ; le souvenir ému d’un dimanche à la face nord de Saint Léger avec 30 bénévoles pendus sur des cordes. Trois ou quatre d’entre eux reviendront rémunérés quelques mois plus tard finir dans les voies les plus déversantes.

Rééquipement à Saint Léger financé par le CD 84 © Pierre Duret

La voie de l’équipement professionnel institutionnalisé et assumé sera celle de la norme et du BTP !

Ce système de maintenance des falaises élaboré sans concertation, phénomène spontané, dans sa variété et sa disparité comme dans son fonctionnement peu institutionnel, est à la fois d’une fragilité importante et d’une nécessité absolue. Le métier « d’ouvreur équipeur » n’existe pas et les quelques pros sollicités jusque là en complément des actions bénévoles, étaient considérés comme dans l’exercice de leur métier de moniteur ou guide, bénéficiant ainsi des avantages réglementaires de ces métiers du sport reconnus (assurances et contraintes de fonctionnement inhérentes à leur activité SPORTIVE). Mais la situation évolue progressivement : la FFME a mentionné en 2016 que les salariés de leurs Comités Territoriaux dans l’exercice de l’équipement/ouverture/maintenance des falaises, dans un cadre rémunéré, devait dorénavant avoir recours aux techniques lourdes et matériels normés coûteux et encombrants développés pour les travaux en hauteur et leurs diplômes professionnels associés.

La fédération s’est engouffrée dans un système qui devait un jour ou l’autre aboutir à la création de diplômes spécifiques tels que ceux envisagés aujourd’hui. Drôle de stratégie que de chercher à raccrocher les wagons d’une activité institutionnelle bien loin de nos activités sportives plutôt que de tenter la démarche inverse : en l’absence de jurisprudence, il eût été à mon sens bien plus logique et surtout déontologique de chercher à faire la preuve qu’une activité d’entretien et (ou) équipement/ouverture de voies en falaise s’inscrit historiquement et pratiquement sur le champ sportif de prérogatives des actuels diplômés en escalade.

Mais la machine à formations et diplômes est en marche, la fédération est dans les starting blocks… Et le système va se mettre au travail : nouvelles assurances pour une nouvelle activité, développement officiel du « marché de l’équipement » (pour reprendre les termes de la fédération), appels d’offre  et concurrence, et les affres de toute activité marchande organisée par le monde libéral ; quid de l’esprit qui animait jusque là la plupart du temps l’aménagement des falaises ?

Certes, le bénévolat a ses limites et il est bien difficile aujourd’hui de recruter des bénévoles, le nombre de falaises à entretenir est énorme et la tâche ingrate. Mais qui croit à la possibilité de financer complètement cette colossale mission et qui veut des falaises entretenues par des ouvriers du bâtiment ?

Les falaises de demain ? © Dauphiné Libéré

Bienvenue dans un monde de M…

Bon, admettons, les collectivités s’engagent comme l’espère la FFME sur des conventionnements, la fédération, elle, écrit les règles de maintenance à l’image des contraintes sécuritaires et normatives sociétales et de la pratique indoor qu’elle promeut et forme des spécialistes de l’équipement. Les Comités Territoriaux, professionnels, ou les boîtes de travaux accro héritent de la maintenance des sites sur un système d’appels d’offres. Et voilà donc dans les deux cas, des professionnels qui entretiennent nos falaises, diplômés pour certains d’un diplôme officiel d’équipeur ou d’un diplôme de travaux en hauteur, les prix baissent et les assurances professionnelles augmentent.

Où sont passés les grimpeurs ? Et que deviennent alors les falaises sans moyens financiers ou sans conventions des collectivités ? Certes on peut penser que la création d’un diplôme d’équipement  va réduire le coût de l’entretien des falaises : la multiplication des diplômes (ou plutôt à mon sens le démantèlement organisé des filières professionnelles) a pour effet la mise en concurrence, la baisse des salaires et participe d’une forme d’Ubérisation assumée par notre fédération qui s’emploie à développer des diplômes sur des champs de compétence réduits. Phénomène encouragé par l’Etat et le système libéral.

Une escalade à deux vitesses, tel est, en l’absence de nouvelles solutions, ce que l’avenir semble nous réserver : de très probables gros sites « démocratiques » (au sens malheureusement péjoratif, sur-fréquentation et sur-aménagements, deux tendances à venir) gérés par des collectivités et entretenus par des pros du bâtiment et des travaux en hauteur. Et puis tout le reste, entre falaises musées, spots secrets, et sites illégaux, sites négociés à la marge avec la responsabilité assumée des propriétaires sans convention,  le tout classé en « terrain d’aventure » malgré le caractère sportif des voies, et plus ou moins entretenu par les pratiquants les plus motivés et financés par des systèmes de crow-founding, mécénat, sponsoring. Finalement tout cela a une certaine logique… Chacun la sienne… Celle ci est bien sociétale : les falaises du peuple opposées aux falaises des élites… Et l’enjeu est bien là, nul doute que le falaisiste que je suis trouvera toujours un spot isolé comme je les affectionne, mais la masse grimpante cantonnée dans des falaises industrielles, est-ce bien cela que nous souhaitons ?

L’équipement de l’avenir ?  © Le Dauphiné Libéré

Alternatives et perspectives, pour que vive l’escalade « libre »

Tentons d’abord la promotion d’une communication différente sur l’escalade : l’escalade tue ! Asseyons-nous sur les quelques licenciés de plus que représentent les amateurs d’activités sans risque, et expliquons aux pratiquants que les falaises ne seront jamais des gymnases ! N’en déplaise à ceux qui le souhaiteraient. L’acceptation du risque par les pratiquants en passe par là et donc la promotion d’une activité de plein air responsable et pérenne, avec des falaises qui ne seront pas des SAE.

Attardons-nous vraiment sur l’éducation des pratiquants acculturés en matière de bonnes pratiques et de culture des SNE : l’escalade n’est pas un sport comme les autres ! Articles, autocollants, affiches à destination des salles privées insistant sur la nécessaire implication de chacun, le nécessaire risque assumé, la nécessaire expertise, les respects des bonnes pratiques et le développement d’une activité plus participative, valeurs chères à Greenspits ; mais le relais est encore loin, le consumérisme a la dent dure, 300 adhésions à Greenspits contre 10000 téléchargements gratuits sur son site alors même que les topos mis en ligne font la promotion d’une adhésion soutien… Dans ce sillage « L’appel des ouvreurs » ou CADO tente aussi aujourd’hui de communiquer sur la nécessaire implication des pratiquants dans leur escalade, à travers le respect et l’achat des topos légitimes et plus largement dans la compréhension des enjeux liés aux SNE…

Nul doute que l’absence de volontés bénévoles est un problème majeur ; il est facile de se dissimuler derrière un phénomène sociétal observé à travers la désertification du mouvement associatif et le manque d’implication des citoyens dans le collectif. Mobilisons nous pour ne pas succomber aux affres de l’individualisme et aux sirènes de la consommation, engageons nous sur les falaises en participant avec les associations de gestion locales des falaises aux journées de rééquipement comme aux concertations avec les associations environnementalistes, il y a du taf à tous les étages.  Et semons la graine auprès des plus jeunes… Une observation : chez les équipeurs, beaucoup de jeunes de 40 et 50 ans… Qui va équiper les  nouvelles voies de demain et entretenir les falaises d’hier ?

Seule la FFME semble aujourd’hui sous-estimer ces aspects éducatifs alors même que ses clubs drainent la plupart du temps les grimpeurs les moins cultivés en matière de SNE car issus pour une bonne partie du territoire de pratiques en SAE. Il me paraît totalement incroyable que l’éducation des jeunes pratiquants (de 6 à 77 ans car aujourd’hui on vient à l’escalade à tous les âges) à la culture des SNE ne soit pas prioritaire dans le questionnement autour de la gestion des SNE, charge qu’entend pourtant assumer encore la FFME délégataire, rappelons-le. C’est peut-être juste que les SNE ne sont pas la priorité ? « Les falaises constituent le patrimoine de l’activité », faut-il entendre ici que les sites naturels appartiennent au passé et que l’avenir est olympique ? Mauvais esprit direz-vous. Pour mémoire un rassemblement récent en falaise organisé par la FFME à destination des plus jeunes des forts compétiteurs venus de la France entière dans un célèbre spot du sud, où les dégaines sont en place, où l’on choisit avec beaucoup de précision des itinéraires pas trop impressionnants, où l’on prend à peine le temps d’apprendre la manœuvre du maillon rapide, où les voies sont coachées par des experts, et où la performance est le cœur de l’événement.

Enfin militons pour un aménagement/équipement/rééquipement pas trop aseptisé des falaises : l’escalade n’est pas la natation ! La norme est une insulte à l’intelligence des pratiquants. Trop de points, trop d’échelles, trop de câbles, trop de chemins, trop de parkings, trop de panneaux, trop de monde… La nature doit être manifeste, pour que l’idée même du risque assumé soit évident ! Charge à chacun aujourd’hui de penser/repenser les falaises à la lumière des problématiques qui se posent en terme de responsabilité et de fréquentation. Trop de sécurité tue la sécurité. La responsabilité assumée des propriétaires passe par le risque assumé des pratiquants. N’en déplaise aux marchands du temple et autres promoteurs de diplômes d’équipeurs… Pour que l’escalade même officielle reste libre ! Le beurre et l’argent du beurre…

“Le Beurre, l’argent du beurre et les fesses de la crémière”, grande voie de Presles équipée par V.Meirieu qui semble affectionner le proverbe…

À bientôt pour la suite !

13 Replies to “La guerre des sites 3 : vers un “diplôme d’équipeur professionnel” pour les sites naturels d’escalade ?”

  1. FFME 13

    L’article est complexe, mais la réalité est encore plus compliquée…, et l’enfer est pavé de bonnes intentions !

    Jean Claude Grand
    Président du CT13 FFME

  2. Duret Pierre

    Bel effort d’écriture mon Vincent …. Bravo. Mais a mon gout l’avenir ne doit pas être aussi sombre … à nous tous d’y prêter attention, passion et plaisir ! Quel large débat encore à mener … de voies à ouvrir, de nouveaux sites à découvrir …. (?) et de travaux d’entretien à mener !
    Bonne continuation à tous …. et bon esprit !
    Pierre Duret
    CT84FFME

  3. Devantay

    On est dans la manipulation grave là…
    Exagération, peur, pour des professionnels qui vivent de leur équipements c’est extremement paradoxal tout ça…
    Nous oui mais pas les autres?

  4. Christophe Rehm

    Très intéressant, un peu long au début mais finalement bien complet…
    A mettre dans un coin de la tête pour y repenser sur le terrain
    Par contre si je puis me permettre : crow founding ça fait plutôt ‘établi par les corbeaux (ravitaillé ?’) ‘ que ‘financement participatif’ (crowd-funding)

  5. Yoh

    L’enfer est pavé de bonnes intentions, c’est malheureusement souvent le cas. Le dernier site de la cuvette s’est vu affublé de belles terrasses en rondins tandis qu’ailleurs on pleure la disparition d’un escalier en bois.

  6. Aventin

    Paradoxe: nous autres habitants de régions peu pourvues en rochers, grimpeurs de rebords de fossés et de couennes à trois boulons, devons-nous éviter d’équiper, se contenter de brosser afin laisser en “terrain bloc” des barres de faible ampleur, qui du coup deviendront d’un engagement et d’une exposition torrides mais seront, par défaut, parfaitement normées, puisqu’il n’y a rien dedans ?

  7. Emma

    La responsabilité sans faute auquel le la fédé est confrontée est le vrai pb : se détermine en jurisprudence pour un président de société pour ses salariés, pour un propriétaire de chien..bref pour qqch dont on est le référent car on a un devoir d’organisation sur la chose gardée à protéger au regard de la loi. Tant que l’équipement des falaises vient de n’importe qui je ne vois que le propriétaire conventionné puisse être mis en cause sauf à ne pas avoir surveiller des campagnes de purge. Qd à l’équipement à partir du moment où ça devient payé contractuellement est le début des pbs car la question de la responsabilité se pose. A mon avis il y a un doux mélange, la fédé n’aime pas l escalade canal historique et s imagine faire plaisir à son assureur. Le métal est le métal et sauf accident de pose, il tient, et ceux qui aiment ça peuvent gérer le remplacement il y a pas besoin d avoir fait l ENA et je ne parle pas de chx, pour ça.C est s abetir de penser qu’ avant un faisait mal, même si un chichon passait par là. Les ouvreurs achuels sont la culture de cette pratique, dommage si on detruit ça.En revanche il faut structurer la purge des falaises via du conventionnement, sans laisser entrer au circuit les pros du BTP.

  8. julien vallet

    Pauvre France! Je commence a mieux comprendre le guepier dans lequel navigue le monde de l’escalade et l’équipment. Pour combien de temps est on encore à l’abri en Suisse?
    Derives juridiques sporadiques mais qui font jurisprudence et devient la norme, déresponsabilisation de la masse même en montagne, tout y passe. Ce système va tuer le benevolat à tous les niveaux: encadrement dans les clubs, equipments, association.
    En tout cas, bel article, certes sombre mais que je concois comme assez réaliste. Ca pas être facile.

  9. Christian Boutonné

    Bonjour à tous,

    Cet article me paraît tout de même un peu catastrophiste, même si il a le mérite de soulever de vraies questions. Je me permets d’intervenir dans le débat en tant qu’équipeur passionné depuis les années 80 (env. 250 longueurs à mon actif), sans l’ombre d’un diplôme en escalade ou équipement, mais aussi en tant qu trésorier du CT FFME 83. Il me vient tout de même deux commentaires:

    – Il n’a jamais manqué chez nous, dans le Var, de bénévoles pour équiper de nouveaux sites,ou même pour du rééquipement. Par contre, sans le travail effectué par une poignée de dirigeants du CT, bon nombre de nos falaises, et non des moindres, se seraient vues interdites notamment par les propriétaires institutionnels (Conseil Dal ou mairies). Le temps béni que j’ai bien connu, où l’on équipait ce qu’on voulait où on voulait est malheureusement en partie révolu. Ce travail de l’ombre, fait de réunions interminables, de dossiers à constituer, de palabres, bien moins “fun” que l’équipement, a été réalisé par une poignée de dirigeants FFME bénévoles tout aussi passionnés et il ne faut pas le perdre de vue.

    – Je ne crois pas un seul instant, sauf à la marge, à de l’équipement effectué par des entreprises: ça coûterait une fortune et ni les CT, ni les collectivités locales n’auraient les moyens, ou l’envie de les assumer.

    Dans le Var, la quasi totalité des sites sont équipés, et plutôt bien; c’est sans doute le manque de rocher qui mettra fin à mon activité d’équipeur…

  10. manu Ibarra

    Cela fait des années, une petite dizaine, je crois que, en oiseaux de mauvaise augure, je dis que nous allons dans le mur. Il est clair que la rupture portée par la FFME de l’escalade avec ses origines alpinistiques pour se revendiquer sportive ne pouvait que nous mener dans tous les travers des sports qui ne sont jamais des terrains de liberté. La solution pour moi est de revendiquer que l’escalade sur sites naturels ne peut pas être un sport. Car seules les SAE sont adaptées à une maîtrise totale des risques et de l’environnement exigée par une performance sportive.
    Sur ceux….
    PS: quand à l’excuse de la condamnation financière de la FFME pour l’affaire de Troubat, si elle vrai, je ne comprends pas alors pourquoi la FFME propose des assurances Pro aux Guides et BE Escalade en s’appuyant visiblement sur l’assise de cotisation de ses licenciés avec une prise de risque du même niveau que Troubat.

  11. Yoann

    Il m’aura fallu du temps pour finir de lire cet article bien dense mais merci pour la lecture! Je pense que les choses ne changeront pas trop dans les années à venir, le peu de sites qui resteront conventionnés FFME seront effectivement gérés de manière très aseptisée et financés par la fédé ou les communautés territoriales pendant que les autres sites sont en mode auto-gestion/financement. Pour être tout à fait honnête cela me va mais c’est sûr que ça impose aux associations locales d’équipeurs de prendre en main toute la partie éducative soulignée dans l’article afin de transmettre les valeurs et la motivation au plus de pratiquants possibles.

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